1868 - 1913

Une influence croissante

La période de 1868 à 1913 a été cruciale, car plusieurs diplômés de la Faculté de droit de McGill ont profondément influencé le développement du Québec et du Canada après leur passage à l’université. Des diplômés, comme Wilfrid Laurier, ont dirigé des gouvernements, présidé des tribunaux et aidé à fonder plusieurs des institutions les plus importantes de notre société.

Au sein même de la Faculté, des membres clés des grandes communautés de McGill et de Montréal, tels que William Macdonald et F.P. Walton, ont renforcé plusieurs des éléments fondamentaux qui font la Faculté aujourd’hui, notamment l’établissement de l’Association des étudiants en droit, la consolidation du bilinguisme dans notre éducation juridique et la promotion d’un programme fondé sur l’exploration académique et l’étude comparative. Même alors qu’elle était encore qu’à ses balbutiements, plusieurs des contributions les plus marquantes de la Faculté à l’histoire du Québec et du Canada ont été réalisées durant cette période.

Dans cette période :

Sir Wilfrid Laurier

Le très honorable Sir Wilfrid Laurier (B.C.L. 1864, LL.D. 1898) était le fils d’agriculteurs francophones de Saint Lin, au Québec, dans l’Est du Canada. Il partit s’installer à New Glasgow, ville à proximité, pour y apprendre l’anglais, puis vint étudier à la Faculté de droit de McGill quelques années plus tard. En 1864, Wilfrid Laurier prononça – en français – le discours d’adieu de sa cohorte lors de la cérémonie de remise des diplômes.

Au cours des années qui suivirent, il pratiqua le droit à Montréal et s’impliqua dans le Parti libéral fédéral. Septième premier ministre du Canada, Wilfrid Laurier fut le premier francophone à occuper ces fonctions (1896-1911). À ce jour, il demeure le premier ministre qui a occupé le plus long mandat consécutif de l’histoire du Canada et détient le record du député qui a siégé le plus longtemps à la Chambre des communes, soit 45 ans. Il a marqué les esprits pour ses efforts en faveur de l’unité nationale entre le Canada français et le Canada anglais.

Le doyen Frederick P. Walton

Frederick P. Walton occupa le poste de doyen de la Faculté de droit de 1897 à 1914, nomination rendue possible grâce à une bourse de 50 000 $ versée par William Macdonald. Éminent juriste d’origine anglaise et diplômé de l’Université d’Oxford et de l’Université d’Édimbourg, il était un ardent défenseur du bilinguisme à McGill, sujet controversé à l’époque de sa nomination; si bien que les anciens diplômés entamèrent des pourparlers pour ouvrir une nouvelle école de droit réservée aux étudiants anglophones à Montréal. Il défendait également les droits des femmes, affirmant que le Code civil du BasCanada ne protégeait pas suffisamment les droits familiaux des femmes, idée qui fut rejetée par PierreBasile Mignault dans le journal Le Devoir. Il réussit à faire accepter l’admission d’Annie Macdonald Langstaff à la Faculté.

La Revue de droit de McGill fait mention de Frederick P. Walton comme « le premier professeur de droit de carrière de McGill, et probablement le premier au Canada ».

Le don de William Christopher Macdonald

 

En 1885, William Christopher Macdonald, fondateur de l’empire Macdonald Tobacco, dota deux postes de professeur en droit. Son don, d’une valeur totale de 200 000 $, amena McGill à rebaptiser la Faculté de droit « Faculté de droit (Fondation Macdonald) » de 1898 à 1921. Ce fonds de dotation exigeait des enseignants qu’ils donnent la priorité à leurs fonctions d’enseignement plutôt qu’à leur pratique professionnelle, et notamment que le doyen et le secrétaire de la Faculté « se consacrent avec ferveur à la gestion et au développement continu de la Faculté ainsi qu’à l’enseignement qui y est donné ». Réputé comme le plus grand « protecteur de McGill », William Macdonald consacra, de son vivant, plus de 13 millions de dollars à l’institution. En 1914, il devint le quatrième chancelier de McGill, poste qu’il occupa jusqu’en 1917. En outre, il créa le campus agricole Macdonald à Sainte-Anne-de-Bellevue, sur le site de l’ancienne Ferme des Reford.

William Macdonald avait à cœur de favoriser l’accès à l’éducation au Canada. Il créa un réseau d’écoles rurales à l’Île-du-Prince-Édouard, d’où il était originaire, au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse.

La chaire Samuel Gale

 

La Chaire Gale, première chaire dotée de la Faculté, fut établie en 1883 en l’honneur de Samuel Gale, juge à la Cour du banc du roi de Montréal et défenseur des droits de la minorité anglophone dans les Cantons-de-l’Est. Cette chaire permit la création du premier poste de professeur rémunéré à temps plein. La fille de Samuel Gale, madame Andrew Stuart, créa le fonds de dotation afin d’offrir à la Faculté un décanat à temps plein. La plupart des doyens nommés depuis ont occupé la chaire; William Warren Hastings Kerr en fut le premier titulaire en 1885.

 

 

La pétition de 1877 

 

Les étudiants du programme de baccalauréat en droit civil étaient agacés par les absences répétées des professeurs, qui priorisaient leur pratique professionnelle. Il firent circuler une pétition (voir l’illustration ci-dessus, à gauche), s’indignant que « l’irrégularité [des cours] était telle que les étudiants ne pouvaient que rarement avoir l’assurance raisonnable de la tenue d’un cours à l’heure convenue ».

Autre changement important de l’époque : le nombre d’inscriptions explosa cette année-là, avec 78 nouvelles admissions. La dotation des fonds à l’origine de la création des chaires Samuel Gale et Sir William Christopher Macdonald – qui permit de doter des postes permanents de professeurs à temps plein – a indéniablement contribué à cet élan.

La création de l’Association des étudiants en droit

 

L’Association des étudiants en droit fut créée en 1912 sous le nom de Law Undergraduate Society (Association des étudiants de premier cycle de la Faculté de droit). Néanmoins, dans l’album de fin d’année Old McGill de 1898, on peut lire que « la formation d’une association par les hommes de droit, régie par une constitution établie, a été un grand pas en avant », ce qui laisse à penser qu’une association d’étudiants en droit existait déjà 14 ans auparavant.

(Photo de gauche) Assis au centre se trouve William Bridges Scott, qui devint juge en chef associé du Québec, et dont le frère cadet n’est autre que Francis Reginald Scott. Il fut également l’un des premiers étudiants en droit de McGill à s’enrôler dans l’armée lors de la Première Guerre mondiale. En 1918 (photo de droite), la secrétaire, madame Wilfred Hughes (née Adella Currie, B.C.L. 1920), devint la première femme à faire partie de l’exécutif de l’Association. Cette même année, à l’instar de Florence Seymour Bell, elle obtint son diplôme de la Faculté de droit, emboîtant le pas à Annie Macdonald Langstaff.

Désiré Girouard

Désiré Girouard (B.C.L. 1860) prononça le discours d’adieu de sa promotion de droit. Influencé par son éducation confessionnelle, il était un homme profondément religieux et très conservateur, et un adversaire farouche au mouvement libéral – incarné par Gonzalve Doutre et l’Institut canadien – qui prenait de l’ampleur au Québec.

Désiré Girouard pratiqua ensuite le droit à Montréal, et siégea au Parlement fédéral pendant 17 ans, au cours desquels il critiqua vivement l’exécution de Louis Riel lors de la rébellion du Nord-Ouest. En 1892, une fois son mandat de député terminé, il devint le premier maire de Dorval, poste qu’il occupa jusqu’à sa nomination à la Cour suprême du Canada en 1895. Il fut le premier diplômé de la Faculté de droit de McGill nommé à la Cour suprême du Canada et le premier juge de la Cour suprême titulaire d’un diplôme en droit. Depuis, douze autres diplômés de droit de McGill ont été nommés à la Cour suprême. Malgré son manque d’expérience dans le domaine judiciaire, Désiré Girouard fut accueilli favorablement : il conféra au tribunal une réputation d’indépendance politique, d’honnêteté et d’érudition juridique.

Gonzalve Doutre

 

Espace culturel libéral et bibliothèque, l’Institut canadien fut fondé en 1844 par des intellectuels canadiens-français. Sa bibliothèque abritait plusieurs ouvrages figurant sur la Liste des livres interdits par l’Église. De nombreux diplômés et professeurs s’impliquèrent dans l’Institut, notamment le professeur Pierre-Richard Lafrenaye, le professeur Toussaint-Antoine-Rodolphe Laflamme, et Gonzalve Doutre (B.C.L. 1861, D.C.L. 1873).

Outre son implication dans l’Institut, Gonzalve Doutre était un jeune leader dans le domaine juridique. Il était un ardent défenseur de la réforme libérale au Québec, et une figure centrale du conflit qui se creusait entre le libéralisme et le conservatisme religieux au sein de la communauté canadienne-française. De plus, il souhaitait ardemment améliorer l’enseignement juridique par le biais de réformes de la Loi sur le Barreau, et créa au sein de l’Institut une école de droit éphémère. Alors qu’il enseignait la procédure civile à McGill, Gonzalve Doutre prononçait ses discours et donnait ses cours exclusivement en anglais, provoquant l’ire des étudiants francophones et la désapprobation de l’administration. Il était également impliqué dans l’affaire Guibord, au cours de laquelle un membre de l’Institut, Joseph Guibord, se vit refuser le droit d’être enterré dans le cimetière catholique de Côte-des-Neiges. Ce conflit, illustré ci-dessus (à gauche), mit en exergue les tensions croissantes entre l’Église catholique et l’état de droit libéral.

Alexander Cameron Rutherford

À la suite de la création de l’Alberta, qui faisait auparavant partie des Territoires du Nord-Ouest, Alexander Cameron Rutherford (B.C.L. 1881) devint le premier premier ministre de la province en 1905. Fervent partisan de la construction des infrastructures publiques de l’Alberta, il appuya d’initiatives à l’origine des systèmes d’éducation publique, de télécommunications et d’infrastructure ferroviaire de la province. L’une des priorités de son gouvernement était de fonder l’Université de l’Alberta, dont le campus principal devait être établi à Strathcona, la ville natale du premier ministre, alors adjacente à Edmonton.

Après s’être retiré de la vie publique, Alexander Cameron Rutherford occupa le poste de chancelier à l’Université de l’Alberta de 1927 jusqu’à sa mort en 1941. Sa maison – la Maison Rutherford –, située à proximité du campus de l’Université, est désormais classée site historique de l’Alberta.

Eugène Lafleur

 

Eugène Lafleur (B.C.L. 1880, D.C.L. 1890) est considéré comme l’un des principaux défenseurs du droit civil au Québec, au même titre que Pierre-Basile Mignault et qu’Aimé Geoffrion. Il était « complètement bilingue et un véritable adepte du bijuridisme et du biculturalisme », mais il était « exclusivement Canadien dans l’âme ».

Eugène Lafleur enseigna le droit international à McGill de 1890 à 1909 et fut nommé Bâtonnier de Montréal en 1905. Fait marquant, selon les archives de retranscriptions de procès, il plaida trente fois devant le Conseil privé et 300 affaires à la Cour suprême du Canada. Wilfrid Laurier et William Mackenzie King lui demandèrent de se joindre à la magistrature, ce dernier l’exhortant même à accepter un poste de juge en chef de la Cour suprême du Canada, mais Eugène Lafleur préféra rester avocat et déclina leur offre.

Au nombre de ses réalisations dans le domaine du droit international, il présida notamment la commission de 1911, qui régla le litige opposant les États-Unis au Mexique quant à l’emplacement de la frontière du Chamizal. En 1898, il écrivit son célèbre essai Le conflit des lois dans la province de Québec (The Conflict of Laws in the Province of Quebec). Il fut professeur émérite de la Faculté de droit de McGill de 1921 (année où il prit sa retraite) à 1929.

Les paroles du « Ô Canada »

 

S’inspirant de la version française originale d’Adolphe-Basile Routhier et de la musique de Calixa Lavallée, Robert Stanley Weir (B.C.L. 1891) écrivit la version anglaise des paroles de l’hymne national du Canada, le Ô Canada, à sa résidence d’été, au bord du lac Memphrémagog. Étonnamment, le deuxième vers des paroles originales de Robert Stanley Weir, « True patriot love thou dost in us command », ressemble à la version révisée qu’a adoptée le Parlement au début de 2018. Ses paroles ont été publiées dans le recueil de chansons de l’Université McGill (McGill University Songbook) de 1921.

Aimé Geoffrion

 

Aimé Geoffrion (B.C.L. 1893) était le fils de ChristopheAlphonse Geoffrion, membre notable et radical de l’Institut canadien et ministre au sein du cabinet de Wilfrid Laurier. Il reçut la médaille d’or ElizabethTorrance et devint l’un des plus grands spécialistes du droit civil québécois, au même titre que les sommités de la Faculté, Eugène Lafleur et PierreBasile Mignault. Aimé Geoffrion devint professeur à la Faculté et Bâtonnier du Barreau de Montréal. Connu pour sa vivacité d’esprit lors des procès, il était l’un des avocats les plus célèbres de son époque, ayant plaidé plus de cent fois au Conseil privé pour les seules questions constitutionnelles.

En 1977, madame Henri Étienne Vautelet, sa fille, créa la médaille AiméGeoffrion. La médaille récompensait les étudiants ayant obtenu les deuxièmes meilleurs résultats d’ensemble au Programme national, et rendait justice à la réputation de défenseur des principes juridiques – incarnés dans les deux principales traditions juridiques du Canada – de son éponyme. Depuis la mise en place du Programme transsystémique, le prix est décerné au finissant ou à la finissante qui a obtenu les deuxièmes meilleurs résultats d’ensemble de la Faculté.

Charles Doherty

Charles Doherty (B.C.L. 1876, D.C.L. 1893) reçut la médaille d’or Elizabeth-Torrance et occupa le poste de ministre de la Justice au sein du gouvernement du premier ministre Arthur Meighen. Il agit à titre de représentant du Canada lors de la première réunion de la Société des Nations et à la Conférence de la paix de Paris, qui s’est tenue après Première Guerre mondiale. À la suite de cette dernière, il fut nommé conseiller privé du roi George V et reçu le titre « Très Honorable ». Il participa à la fondation de l’Association du Barreau canadien, dont il devint le premier président honoraire en 1914.

 

Thomas Shearer Stewart

Thomas Shearer Stewart (B.C.L. 1908) perdit la vue à 16 ans, après qu’un chirurgien ophtalmologiste lui retira le mauvais œil en opérant une blessure à l’œil. Néanmoins, grâce au soutien financier de William Macdonald, il s’inscrivit à McGill. Pour l’aider, sa sœur transcrivait ses examens et son frère, William, lui lisait tous les cours à voix haute. Finissant en même temps, William Stewart reçut la médaille d’or Elizabeth-Torrance et Thomas Stewart la médaille d’argent lors de la collation des grades.

Sa famille dota la bourse de voyage Thomas-Shearer-Stewart en 1967, qui offre à un.e diplômé.e canadien.ne de la Faculté la possibilité de suivre un programme d’études de cycle supérieur en droit à l’extérieur du Québec, dans la tradition des deux frères Stewart.

Le sport

 

Des étudiants de la Faculté de droit de McGill ont joué un rôle de premier plan dans la création de deux des sports favoris du pays : le hockey et le football.

La photo de l’équipe masculin de hockey de McGill (à gauche) a été prise par John Henderson lors du tournoi de hockey du carnaval d’hiver de Montréal de 1884. Ce serait la plus ancienne photo d’un match de hockey en cours. C’est à James Creighton (B.C.L. 1880) qu’on attribue l’organisation de premier match de hockey sur glace en salle du 3 mars 1875, qui a eu lieu à la patinoire Victoria. En 1883, il fut nommé greffier en loi au Sénat, poste qu’il occupa pendant 48 ans. Creighton fut intronisé au Temple de la renommée de la Nouvelle-Écosse à titre de « père du hockey organisé ».

En outre, six étudiants de la Faculté de droit et quatre autres étudiants du McGill College disputèrent ensemble le premier match de football nord-américain, qui les opposa à l’Université Harvard à Cambridge, au Massachusetts, les 14 et 15 mai 1874. Le premier jour du tournoi, les équipes – composées chacune de 11 joueurs – jouèrent selon les règles établies par Boston et, le lendemain, selon les règles mcgilloises, lesquelles prévoyaient l’utilisation d’un ballon ovale et autorisaient les joueurs à le ramasser sur le sol et à courir tout en l’ayant dans les mains. Le 31 octobre suivant, Montréal accueillait le « International Foot-Ball Match ».