1953 - 1967

Une ère d’innovation en droit et au-delà

La période de 1953-1967 apporta de grands changements et de progrès, au cours de laquelle la Faculté de droit de l’Université McGill et ses étudiant.e.s ont réalisé de nombreuses premières au Québec et au Canada. Francis Reginald Scott a mené la première poursuite judiciaire avec succès contre un chef de gouvernement à la Cour Suprême du Canada; Marie-Claire Kirkland est la première femme élue à l’Assemblée nationale; Frederick Phillips est devenu le premier avocat noir au Québec; Maxwell Cohen a été nommé le premier doyen juif d’une faculté de droit au Québec; McGill a fondé l’Institut de droit comparé; et le Nouveau Pavillon Chancellor-Day est devenu le premier édifice à McGill spécifiquement bâti pour la Faculté. Il s’agit donc d’une période cruciale durant laquelle la Faculté de droit s’est imposée comme un élément incontournable de la société québécoise et canadienne. C’est à ce moment que la Faculté a cimenté son identité comme endroit où l’ont remet les limites en question et où l’on fait tomber les barrières.

Dans cette période :

F.R. Scott

Francis Reginald (Frank) Scott (B.C.L. 1927) a intégré la Faculté en 1928 suite à la recommandation de son ancien professeur, H. A. Smith. Poète de renom, il avait fondé alors qu’il étudiait à McGill le Fortnightly Review avec A. J. M. Smith. Ses Collected Poems (1981) lui ont valu le Prix du Gouverneur général en poésie, et son recueil Poems of French Canada (1977) lui a valu le prix de traduction du Conseil des arts du Canada. F. R. Scott a aussi milité pour des causes politiques de gauche tout au long de sa carrière. Étant un des architectes du mouvement socialiste canadien, il a notamment été l’un des premiers leaders de ce qui est devenu le Nouveau Parti démocratique. Au-delà de la poésie et des causes socialistes, il a également fondé l’Association canadienne des professeurs de droit en 1951, a été un représentant des Nations Unies en Birmanie en 1952, a cofondé Recherches sociales (un groupe consacré à l’étude des relations entre anglophones et francophones au Canada), et été membre de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le multiculturalisme. En tant qu’avocat en droit constitutionnel, il a pris part à des cas marquants centrés sur les libertés civiles, notamment Roncarelli c. DuplessisSwitzman c. Elbling et Brodie c. La Reine.

En raison principalement de ses opinions politiques, il n’a été nommé doyen qu’en 1961 (il a occupé ce poste jusqu’en 1963), après avoir été, durant plusieurs décennies, un professeur provocant mais apprécié de ses étudiant.e.s. La Chaire F. R. Scott en droit constitutionnel de la Faculté a été créée en son honneur en 1997.

Paul-André Crépeau

 

Paul-André Crépeau a été professeur à la Faculté de droit de McGill pendant plus de 50 ans et a laissé une marque profonde sur la Faculté, tout comme sur le droit civil au Québec. Il a consacré sa vie à l’avancement de l’enseignement du droit privé, produisant ce faisant plus de 130 ouvrages universitaires. De 1965 à 1977, il a présidé l’Office de révision du Code civil, organisme dont les recherches, les consultations et l’expertise ont mené au nouveau Code civil du Québec de 1994. Il s’agissait alors de la toute première mise à jour du Code civil du Bas-Canada de 1867 depuis sa rédaction sous la direction du chancelier Dewey Day.  À l’international, on aimait dire de Paul-André Crépeau qu’il était l’incarnation même du droit civil québécois.

Mais pour ce pionnier de la jurilinguistique au Canada, son travail à la tête de l’équipe qui a rédigé le nouveau Code civil n’est qu’une réalisation parmi tant d’autres. Aux côtés de son collègue Frank R. Scott, il a inspiré l’Assemblée nationale dans l’élaboration de la Charte des droits et libertés de la personne de 1975. La même année, il a fondé le Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, qu’il a dirigé jusqu’en 1996 et qui est devenu le Centre Paul-André Crépeau de droit privé et comparé en 2012. De plus, celui que l’on a qualifié de « véritable amoureux de la langue française » s’est vu remettre le prix Georges-Émile-Lapalme pour sa contribution exceptionnelle à la qualité et à la promotion du français au Québec.

Le doyen Maxwell Cohen

L’hon. Maxwell Cohen a entrepris sa carrière d’enseignant à l’Université McGill en 1946 après avoir été major dans l’Armée canadienne durant la Seconde Guerre mondiale. En remplaçant John Peters Humphrey qui venait de partir pour les Nations Unies, il est devenu le tout premier professeur à temps plein de confession juive à la Faculté de droit, avant de devenir doyen de 1964 à 1969. La plus importante contribution de Maxwell Cohen à la Faculté a été l’établissement, en 1968, du Programme national, qui permettait aux étudiant.e.s d’étudier simultanément le droit civil et la common law. C’est également pendant son mandat qu’a été inauguré le Nouveau Pavillon Chancellor-Day.

L’influence de Maxwell Cohen s’est étendue bien au-delà de la Faculté de droit de l’Université McGill: il a également présidé le Comité spécial sur la propagande haineuse du ministre de la Justice en 1965 et 1966, et rédigé des dispositions clés qui ont été intégrées au Code criminel du Canada. Tour à tour, il a représenté le Canada à l’Organisation des Nations Unies, a été voix importante dans la rédaction de la Charte canadienne des droits et libertés et été conseiller constitutionnel du gouvernement néo-brunswickois. Il a en outre été nommé Officier de l’Ordre du Canada en 1976 avant d’être nommé juge ad hoc canadien à la Cour internationale de Justice, rôle qu’il a tenu de 1981 à 1985. En hommage à ses contributions, un prix d’excellence en droit international ainsi que la salle du tribunal-école (Nouveau Pavillon Chancellor-Day) portent son nom.

Marie-Claire Kirkland

 

Élue en 1961, l’hon. Marie-Claire Kirkland (B.C.L. 1950, LL. D. 1997) a été la première femme au Québec à siéger à l’Assemblée nationale, à plaider devant le Comité des projets de loi d’intérêt privé et à être nommée ministre. Également première femme juge de la province, elle a reçu l’Ordre du Canada en 1992, et s’est vu remettre en 1993, aux côtés d’Elizabeth Monk, la Médaille du Gouverneur général pour son travail concernant les droits des femmes.

Marie-Claire Kirkland a obtenu son diplôme moins de dix ans après que les femmes aient obtenu le droit de vote et soient admises au Barreau du Québec. Au cours de sa carrière, elle a changé plusieurs aspects du droit en ce qui concerne les femmes. Par exemple, elle a fait adopter des projets de loi pour protéger la propriété des femmes mariées et pour permettre à celles-ci de conclure des contrats sans le consentement de leur mari. Elle a aussi été ministre des Transports et des Communications après avoir fait pression pour obtenir le poste, dans le but notamment de prouver que son genre ne la prédisposait pas se faire cantonner au ministère du Bien-être social. Plus tard ministre du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche, elle a fait la promotion du tourisme au Québec, contribué à la création des premières réserves fauniques de la province, et fait adopter la Loi sur les biens culturels.

Frederick R. Phillips

Frederick R. Phillips (B.C.L. 1956) a été le premier avocat noir admis au Barreau du Québec. Bien que d’autres étudiant.e.s noir.e.s l’aient précédé à la Faculté de droit, il a été le premier à pratiquer le droit dans la province. À son retour de la guerre, durant laquelle il avait passé trois ans dans les forces aériennes, il a fait ses études secondaires en un an, puis s’est inscrit au baccalauréat ès arts et enfin au baccalauréat en droit civil à McGill. Reçu au Barreau du Québec un siècle après son premier confrère noir au Barreau de l’Ontario, il a pratiqué le droit pendant 36 ans. Il a été un pionnier pour des générations subséquentes d’avocat.e.s noir.e.s qui ont continué à se heurter aux barrières dans la profession juridique.

Leonard Cohen

 

L’auteur-compositeur-interprète Leonard Cohen (LL. D. 1992; en haut à gauche) n’a passé qu’un semestre à la Faculté de droit après avoir décroché son baccalauréat ès arts à McGill. Il a eu pour professeur F. R. Scott, qui est resté son mentor même après son passage à McGill. Scott a prêté à Cohen le chalet à North Hatley où ce dernier a travaillé sur son premier roman, Jeux de dames (The Favourite Game). Leonard Cohen dira plus tard que F. R. Scott lui avait donné « le courage d’échouer » à l’époque où, jeune écrivain, il appréhendait de quitter l’entreprise de vêtements familiale. On peut voir ci-dessus (à droite) sa dédicace de l’exemplaire du roman Les Perdants magnifiques (Beautiful Losers) offert à son mentor.

Lord Denning visite la Faculté de droit

 

Lord Alfred Thompson Denning (LL. D. 1967) était une icône de la common law britannique. En visite en 1967, il a assisté à l’inauguration du Nouveau Pavillon Chancellor-Day et a reçu en même temps un doctorat honorifique (ci-dessus, à gauche). Les étudiant.e.s en droit de McGill lui vouaient une affection de longue date, et en 1978, ceux et celles que l’on peut voir ci-dessus (à droite) avaient obtenu de lui l’autorisation d’imprimer son portrait sur des chandails et de les vendre à la Faculté. Ils se sont ensuite pris en photo ainsi vêtus sur le parvis du Nouveau Pavillon Chancellor-Day, drapeau britannique au vent et portrait de la reine Elizabeth bien en évidence (ci-dessus, à droite). Après avoir reçu la photo, Lord Denning a répondu par une lettre manuscrite remerciant les étudiant.e.s : « Je suis ravi de l’avoir entre les mains, et je saurai lui trouver une place de choix dans ma bibliothèque pour toujours me souvenir du meilleur groupe des meilleurs élèves de la meilleure université en Amérique du Nord – et dans le monde entier. » Lord Denning a terminé sa note en invitant les étudiant.e.s à lui rendre visite s’ils se trouvaient un jour en Angleterre, et en leur souhaitant bonne chance pour leurs études. L’une des étudiantes que l’on peut voir sur la photo, Jacqueline Johnson Clifford (B.C.L. 1980), a rendu visite à lord Denning ce même été. Et, comme promis, la fameuse photo était accrochée au mur de la bibliothèque de Lord Denning.

Nouveau Pavillon Chancellor-Day

 

La construction du Nouveau Pavillon Chancellor-Day, le nouvel édifice de la Faculté de droit de l’Université McGill, s’est achevée en 1967. Situé en plein cœur du centre-ville de Montréal, ce pavillon adjacent à l’ancien a coûté 1,825 million de dollars, somme fournie par les généreux donateurs de la Faculté. Les six étages du nouvel édifice ont permis de loger sept nouvelles salles de classe ainsi qu’un tribunal-école, des aires communes, des casiers et la bibliothèque de droit. Cette dernière occupait quatre étages et pouvait accueillir 200 étudiant.e.s et 100 000 ouvrages.

L’image de droite montre le public lors de l’inauguration du pavillon le 21 janvier 1967. Preuve de l’excellente réputation de la Faculté de droit de  McGill, l’assistance comportait certains des plus grands juristes au monde. Lors de la cérémonie, bilingue, la Faculté a remis sept doctorats honorifiques à des membres de l’assemblée : l’hon. Robert Taschereau, juge en chef de la Cour suprême du Canada; l’hon. Earl Warren, juge en chef de la Cour suprême des États-Unis (en bas à gauche sur la photo ci-dessus); Lord Denning, président de la Cour d’appel de Grande-Bretagne (au centre sur la photo ci-dessus); l’hon. Ivan C. Rand, juge puîné de la Cour suprême du Canada; l’hon. G. S. Challies, juge en chef adjoint de la Cour supérieure du Québec; l’hon. Maximilien Caron, doyen de la Faculté de droit de l’Université de Montréal; et l’hon. Jean Carbonnier, professeur de droit français de l’Université de Paris.

Douglas Charles Abbott

 

Douglas Charles Abbott (B.C.L., 1921; LL. D., 1951) était un avocat, chargé de cours, politicien et juge de haut calibre. Durant la Première Guerre mondiale, il a interrompu ses études à l’Université McGill pour servir outre-mer pendant deux ans. Il est ensuite revenu terminer sa formation en droit au sein de la célèbre promotion de 1921 à McGill, qui comprenait également Brooke Claxton (B.C.L., 1921; LL. D., 1950).

De 1931 à 1939, D. C. Abbott a enseigné la procédure civile à la Faculté de droit de McGill. En 1940, il a été élu à la Chambre des communes au sein du caucus libéral. Il conserve son siège pendant 14 ans. D’abord nommé ministre de la Défense nationale au terme de la Seconde Guerre mondiale, en 1945 (en bas à gauche de la coupure de journal ci-dessus), il a été fait ministre des Finances l’année suivante, puis est devenu juge de la Cour suprême du Canada en 1954. Cette nomination à la magistrature a semé la controverse, et aucun ministre n’a été nommé directement à la Cour suprême depuis.

L’institut de droit comparé

L’Institut de droit comparé a été fondé en 1965, à l’époque du doyen Maxwell Cohen, grâce à une subvention de la Fondation Ford. Depuis sa création, l’Institut s’est consacré à la promotion de la recherche en droit comparé privé, public et international. L’Institut, initialement nommé l’Institut de droit étranger et comparé, était un précurseur du programme de baccalauréat en droit créé en 1968. De par son mandat, il a stimulé l’embauche de professeur.e.s de common law, et incité la Faculté à offrir des cours de common law au premier cycle et aux cycles supérieurs pour la première fois depuis des décennies. Par ailleurs, vu l’importance qu’accordait l’Institut au droit international et comparé, la Faculté s’est détachée de son programme « étroit et monojuridique » basé sur la formation professionnelle pour se tourner vers le modèle d’enseignement théorique bijuridique qui fait sa renommée aujourd’hui.

Au même titre que l’Institut de droit aérien et spatial, l’Institut de droit comparé a attiré bon nombre d’étudiant.e.s et d’universitaires de partout dans le monde aux cycles supérieurs. Au fil des ans, il a pris part à nombre d’entreprises sur la scène internationale, dont des projets de réforme du droit dans des pays comme le Vietnam, la Chine et la Russie.

Manuel Shacter

Manuel Shacter (B.C.L. 1947) est un avocat chevronné qui doit notamment sa renommée à son travail dans l’affaire Brody c. La Reine à la Cour suprême. Shacter s’est opposé, avec succès, à la censure de L’Amant de lady Chatterley, un roman controversé de D. H. Lawrence qualifié d’obscène. N’ayant alors jamais plaidé en Cour suprême, il avait fait appel à l’expertise de son ancien professeur de droit constitutionnel, F. R. Scott. Ce dernier a joué un essentiel dans l’affaire qui lui a d’ailleurs inspiré le célèbre poème I Went to Bat for the Lady Chatte.

Manuel Shacter a aussi été le deuxième bâtonnier juif du Barreau de Montréal, ainsi qu’un membre fondateur et l’un des premiers présidents de l’Association de droit Lord Reading.

Bibliothécaire de droit, Marianne Scott

Marianne Scott a été bibliothécaire de droit à McGill de 1955 à 1973, et chargée de cours à la Faculté de 1964 à 1975. Nombreux sont ceux qui lui attribuent la création de la bibliothèque de droit de l’Université McGill telle qu’on la connaît. Elle a par ailleurs été indispensable à l’établissement du Fonds Wainwright. Après avoir quitté la Faculté de droit pour accepter le poste de directrice des bibliothèques de l’Université McGill, elle est devenue la première femme à la direction de la Bibliothèque nationale du Canada. Marianne Scott a été nommée membre de l’Ordre du Canada en 1995.

 

Peng MingMin

Peng Ming-Min (LL. M. 1953) est un militant et politicien taïwanais qui a fait partie de la première promotion de l’Institut de droit aérien de McGill. S’étant spécialisé en droit international public au cours de ses études antérieures, il avait découvert avec grand intérêt les articles de John Cobb Cooper. C’est d’ailleurs suite aux conseils de ce dernier qu’il s’est inscrit au tout nouvel Institut de droit aérien après avoir reçu une bourse pour étudier à l’étranger. Il y a édité le premier journal étudiant, qui traitait de droit spatial bien avant que le sujet soit d’actualité.

Après avoir obtenu sa maîtrise à la Faculté de droit de McGill, Peng Ming-Min est devenu professeur à l’Université nationale de Taïwan, puis conseiller de la délégation taïwanaise à l’Organisation des Nations Unies. Ardent défenseur de la démocratie et du renversement du régime dictatorial, il a été emprisonné en 1964 pour sédition. Après s’être enfui en Suède grâce à l’aide d’Amnistie internationale, il a continué de plaider pour la démocratie et l’indépendance taïwanaises. Son autobiographie, Le Goût de la liberté (A Taste for Freedom. Memoirs of a Formosan Independence Leader) est parue en 1972. Lorsque Taïwan a connu une réforme politique en 1992, il y est retourné et, trois ans plus tard, s’est présenté aux premières élections présidentielles du pays, où il s’est classé deuxième.