1821 – 1867

Les premières décennies

Les premières décennies de la Faculté ont été marquées par un esprit pionnier. Après quelques années de cours enseignés de manière ponctuelle dans les bureaux de l’avocat William Badgley, certains étudiants ont réclamé des études plus approfondies. Ils déposèrent une requête en 1848 auprès de l’administration de McGill et Charles Dewey Day établit officiellement la Faculté de droit en 1853. Au cours des années suivantes, la Faculté de droit de McGill fût au centre de grande négociations et transformations: des diplômés et des professeurs jouèrent un rôle important dans la transition du régime seigneurial au Québec, la rébellion du Bas-Canada des années 1830, la codification du droit civil, la Confédération et le développement d’une identité canadienne allant au- delà du fleuve Saint-Laurent. Plusieurs personnes rattachées à la Faculté de droit, dont John Abbott, Alexander Morris et D’Arcy McGee, ont façonné le rôle du Canada dans l’Empire britannique et dans le monde.

Dans cette période:

Country house on a hillLaw Faculty petitionFaculty response to student demands for translationsBlack and white portrait of Alexander MorrisFuneral of Darcy McGee

La Charte de McGill de 1821

Country house on a hill

La Faculté de droit de McGill ne vit officiellement le jour que plusieurs décennies après la fondation du McGill College. Néanmoins, pour comprendre son évolution, il faut revenir sur les origines de la Faculté. À sa mort en 1813, James McGill léègua une somme de 10 000 livres et son domaine de 46 acres, Burnside Place (illustration ci-dessus, qui correspond aujourd’hui à l’emplacement du campus du centre-ville de McGill), pour que soit construite une université à son nom. Peu après, Francis Desrivières, son neveu, intenta un procès s’opposant à la création du collège. Malgré les efforts de ce dernier, en 1821, le roi George IV ratifia la charte royale qui établit le McGill College. Dans les années 1820, un recteur et quatre professeurs furent nommés de manière stratégique afin de prouver que l’université existait en fait et non seulement sur papier. Bien que nommé professeur d’histoire et de droit civil à cette époque, Bishop Strachan (qui prit ensuite part à la fondation du Trinity College à l’Université de Toronto) ne semble avoir jamais enseigné au McGill College.

En raison du litige entourant la fondation de l’institution, l’inauguration officielle n’a eu lieu qu’en 1829, à la suite d’une décision favorable du Conseil privé. Ce n’est qu’au cours des années 1840 que les activités d’enseignement débutent.

 

La requête de 1848 pour la création de la Faculté de droit

La Faculté de droit de McGill a été établie à la demande des étudiants eux-mêmes. Un groupe de 23 étudiants en droit du Barreau du Canada-Est, dirigé par Alexander Morris (B.C.L. 1850, D.C.L. 1862), déposa une pétition réclamant du vice-principal de McGill la création d’un programme de droit exhaustif. Pour compléter leur apprentissage au sein de cabinets d’avocats montréalais, nombre d’étudiants assistaient à des conférences que donnait occasionnellement William Badgley dans son bureau.

Charles Dewey Day fut nommé principal du McGill College en 1853 et prit rapidement la décision d’établir la Faculté de droit. William Badgley en fut le premier doyen. John Joseph Caldwell Abbott, associé minoritaire du cabinet de William Badgley, et Frederick Torrance furent les premiers chargés de cours.

 

Bilingue dès ses débuts

La Faculté de droit de McGill a été bilingue dès ses débuts. Toussaint-Antoine-Rodolphe Laflamme et Pierre-Richard Lafrenaye, tous deux embauchés dans les années 1850, comptaient parmi les premiers chargés de cours francophones. Malgré les vues assimilationnistes du doyen William Badgley, bon nombre des premiers cours offerts témoignent d’un profond respect pour le droit français et le droit anglais. Le chancelier Charles Dewey Day, fondateur de la Faculté de droit, souhaitait que la formation des juristes s’inspire de sources diverses. Par exemple, on sait que le cours sur la bibliographie du droit que Pierre-Richard Lafrenaye donnait en français en 1855 s’appuyait sur des textes français et anglais.

Dès 1875, les demandes des étudiants pour obtenir des textes traduits dans les deux langues poussèrent la Faculté à mettre en place une politique de bilinguisme qui est toujours en vigueur aujourd’hui.

 

Le premier doyen: William Badgley

En 1844, William Badgley (D.C.L. 1843), un éminent avocat montréalais, devient le tout premier chargé de cours en droit à McGill. En 1846, il est nommé professeur titulaire puis, en 1953, quand la Faculté de droit est officiellement créée, il en devient le premier doyen. William Badgley rédige alors la brochure intitulée Representation against the title of the seminary to the seigniory of Montreal (1839) et compte parmi les membres fondateurs de l’Association constitutionnelle de Montréal, qui s’opposait haut et fort au mouvement des patriotes. Ardent défenseur du maintien d’un lien constitutionnel avec la Grande-Bretagne, il soutient l’assimilation des Canadiens français, et prône l’union du Haut-Canada et du Bas-Canada ainsi que la réforme d’institutions, telles que le régime seigneurial.

Au cours de sa carrière, William Badgley occupe les fonctions de juge de la Cour de circuit du district de Montréal, de bâtonnier du Barreau de Montréal – il compte parmi les premiers –, de procureur général du Canada-Est et de membre de la législature. Il siége également à la Cour supérieure du Bas-Canada et à la Cour du banc de la reine.

 

Charles Dewey Day: premier chancelier de McGill

Tout premier chancelier de McGill, Charles Dewey Day joue un rôle central dans la création de la Faculté de droit. Fervent défenseur de l’éducation juridique pluraliste, qui, selon lui, devait s’inspirer d’un large éventail de sources juridiques, il fait la promotion d’un « enseignement universel » comprenant, à partir de 1856, le droit constitutionnel, le droit des obligations, le droit civil, le droit romain, l’histoire des lois françaises, anglaises et du Bas-Canada, et le droit international.

Étant au nombre des trois commissaires responsables de la codification du Code civil du Bas-Canada, Charles Dewey Day a profondément marqué la société québécoise. Au cours de sa carrière, il a occupé les fonctions de solliciteur général, de député à l’Assemblée législative de la province du Canada, et de juge à la Cour du banc de la Reine ainsi qu’à la Cour supérieure du Québec. Il fut également juge-avocat suppléant du tribunal militaire chargé de juger les patriotes emprisonnés à la suite des rébellions et siégea à la Commission seigneuriale de 1856, où il plaidera que le système féodal était dépassé.

 

Les premiers professeurs

La première cohorte de professeurs comptait dans ses rangs Pierre-Richard Lafrenaye (à gauche), un avocat de premier plan et membre de l’Institut canadien, un groupe controversé d’intellectuels canadiens-français qui préconisait une vision libérale du patriotisme et de la culture. Son approche polyjuridique de la bibliographie (lien vers l’enseignement juridique de l’époque) reflète l’éclectisme du droit qui régnait au Québec avant la codification.

Toussaint-Antoine-Rodolphe Laflamme (B.C.L. 1856, D.C.L. 1873) (portrait du milieu), un avocat important de la province et l’un des fondateurs de l’Institut canadien, était également au nombre des professeurs de la première cohorte. Il occupa les fonctions de bâtonnier du Barreau de Montréal, de ministre au sein du cabinet d’Alexander Mackenzie, et se vit offrir un siège à la Cour suprême du Canada, proposition qu’il déclina.

Frederick William Torrance (B.C.L. 1856) appartenait à l’influente famille Torrance de Montréal. Il exerça le droit jusqu’à sa nomination à la Cour supérieure du Québec en 1868, bien qu’il continua d’enseigner à la Faculté jusqu’en 1872. Il participa à la fondation de l’Institut Fraser ainsi qu’à la création du Collège presbytérien de Montréal. Il contribua généreusement aux fonds de la Bibliothèque de droit, léguant ainsi un héritage impérissable dans le paysage intellectuel montréalais.

 

La vie étudiante nomade

Au milieu du XIXe siècle, les étudiants passaient la plupart de leur temps en apprentissage au sein de cabinets d’avocats, comme celui de William Badgley, situé dans la Petite rue Saint-Jacques (sur la photo ci-dessus, on aperçoit le Palais de justice au fond, à gauche). De 1854 à 1860 et de 1870 à 1890, matin et soir, ils assistaient aux conférences que donnaient quelques-uns des plus éminents avocats de la ville dans des salles louées à la Banque Molson. Plusieurs décennies durant, la Faculté de droit n’eut aucun professeur à temps plein ni salle de cours. Jusque dans les années 1940, les cours de droit étaient donnés dans différents bâtiments du campus de McGill, qui ne cessait de croître, notamment dans le Pavillon Burnside, le Pavillon des arts, le Pavillon Dawson, le Pavillon Purvis, et dans le Manoir Ross, qui sera rebaptisé Pavillon Chancellor-Day.

 

 

 

Le Barreau

Cofondée par William Badgley en 1827, la confrérie des Brothers-in-Law fut l’un des précurseurs du Barreau. Ce club privé exclusif, dont les droits d’adhésion – et les pénalités de retard – se payaient en bouteilles de vin, comptait 15 avocats qui se réunissaient six fois par année autour d’un souper. La Bibliothèque des avocats (Advocates’ Library), fondée en 1828 par de nombreux grands avocats montréalais ayant des liens avec McGill comme William Badgley, Samuel Gale et Charles Dewey Day, comblait nombre des besoins des avocats de la ville. Outre la « grande collection de précieux ouvrages » qu’elle hébergeait, la Bibliothèque organisait des conférences et des formations techniques, et tentait de structurer l’admission et les normes de la profession.

Le Barreau de Montréal fut créé en 1849 à la suite de la sanction de l’Acte pour l’incorporation du Barreau du Bas-Canada. William Badgley, le premier doyen de la Faculté de droit, en fut l’un des premiers bâtonniers. La Cour supérieure du Québec et la Cour du banc de la Reine furent également créées cette année-là (le palais de justice de Montréal, aujourd’hui connu sous le nom de Vieux palais de justice, est illustré ci-dessus tel qu’il était en 1854). La nouvelle loi introduisit des règlements relatifs à l’admission des membres et aux mesures disciplinaires, décisions qui étaient auparavant prises à la discrétion des tribunaux, des gouverneurs et d’organisations informelles, telles que la Bibliothèque des avocats.

Les premiers diplômés

La Faculté des arts de McGill délivra les premiers diplômes de baccalauréat en droit civil (B.C.L.) du BasCanada en 1850, soit trois ans avant la création officielle de la Faculté de droit. Les premières cohortes de diplômés ne comptaient alors qu’une poignée d’étudiants. Voici quelques-unes des réalisations des cinq premiers étudiants de la promotion de 1850.

En 1862, Christopher Caldwell Abbott (frère de John Joseph Caldwell Abbott ) et Alexander Morris obtinrent les deux premiers doctorats en droit civil (D.C.L.). Outre ses nombreuses autres réalisations, Alexander Morris lança la première pétition de 1848 réclamant la bonification du programme de droit. William Busby Lambe, un autre signataire de la pétition de 1848, devint inspecteur des licences pour le district du revenu de Montréal. Brown Chamberlin fut nommé rédacteur en chef du journal Montreal Gazette, puis occupa le poste d’Imprimeur de la Reine, avant d’être élu député à l’Assemblée législative. Romeo Stephens semble avoir pratiqué le droit à Montréal et en Colombie-Britannique.

Alexander Morris

Portrait of Alexander MorrisAlexander Morris (B.C.L. 1850, D.C.L. 1862) comptait parmi la poignée d’étudiants en droit de la première cohorte de la Faculté (lien vers la première cohorte de finissants) et fut le tout premier étudiant à obtenir un baccalauréat en arts de McGill. À titre de ministre du cabinet de John Alexander Macdonald, il fut une figure emblématique de la Confédération, un acteur central dans la négociation de plusieurs des traités numérotés avec les nations autochtones de l’Ouest canadien. Il fut nommé second lieutenant-gouverneur du Manitoba et des Territoires du Nord-Ouest (1872-1877). Au nombre de ses écrits les plus connus figure Nova Britannia: or, British North America, Its Extent and Future et The Treaties of Canada. À la fin de sa carrière, il était en conflit permanent avec Ottawa, qu’il jugeait incapable d’appliquer les traités dans leur entièreté et partial en raison de son attachement à la doctrine de la découverte erronée.

Les contributions d’Alexander Morris à l’histoire font débat : certains soutiennent qu’au cours de sa carrière, il a accordé une part croissante aux questions autochtones dans ses travaux, tandis que d’autres le considèrent comme un impérialiste classique. Aujourd’hui encore, on décerne le Alexander Morris Exhibition Prize – premier prix doté de la Faculté – à l’étudiant ou l’étudiante de deuxième année qui a obtenu les meilleurs résultats.

 

John Abbott

Avocat spécialisé en droit commercial, John Joseph Caldwell Abbott (B.C.L. 1854, D.C.L. 1867) eut une riche carrière aux côtés de son associé William Badgley, premier doyen de la Faculté, qui lui ouvrit les portes de l’enseignement en 1853. Il occupa le poste de doyen de la Faculté pendant 25 ans, mais seulement à temps partiel, puisqu’il assumait d’autres fonctions en parallèle ; il brigua deux mandats consécutifs de maire de Montréal (1887-1888) et occupa les fonctions de solliciteur général et de député de la Chambre des communes. L’un des plus éminents avocats de la province du Canada, il fut nommé conseiller de la Reine en 1862.

Par deux reprises, il déclina le siège de juge en chef du Québec.
Il prit part à la fondation d’importantes institutions du Canada anglais, notamment l’Institut Fraser et l’Art Association of Montreal – qui deviendra le Musée des beaux-arts de Montréal. Il servit comme premier ministre et chef du Parti conservateur de 1891 à 1892, devenant le tout premier premier ministre né au Canada.

D’Arcy McGee

Thomas D’Arcy McGee (B.C.L. 1861) était un éditeur de journal, un militant, un poète et un homme politique. Il devint le premier député élu à l’Assemblée législative de la Province du Canada en 1858, puis fut nommé ministre au sein du cabinet de John Alexander Macdonald de 1864 à 1867. Il poursuivit sa carrière politique jusqu’à sa mort, en 1868. Il fréquenta les bancs de l’Université McGill à l’âge adulte et, bien qu’il ait été choisi pour prononcer le discours d’adieu, il reçut son diplôme de baccalauréat en droit civil par contumace, ayant été retenu à Ottawa par ses fonctions législatives. Ardent défenseur de l’unification de l’Amérique du Nord britannique, l’influence qu’il exerça lors de la Conférence de Charlottetown et de la Conférence de Québec sur la confédération lui valut d’être reconnu comme l’un des « Pères de la Confédération ».

Thomas D’Arcy McGee fut assassiné alors qu’il était en fonction. Son assassinat aurait été orchestré par les Féniens, qui luttaient pour l’indépendance de la République irlandaise et qui se sont sentis trahis par les politiques qu’il menait. Environ 80 000 personnes assistèrent à ses funérailles, à Montréal (à l’époque, la ville ne comptait que 150 000 habitants).

La médaille d’or Torrance

En 1865, John Torrance, un marchand prospère et « patriarche de Montréal », créa la médaille d’or ElizabethTorrance en mémoire de sa défunte épouse; l’un des plus prestigieux prix de la Faculté, la médaille est décernée au finisssant ou à la finissante qui a obtenu les meilleurs résultats d’ensemble à la Faculté.

Frederick William Torrance, professeur de droit romain et fils d’Elizabeth et de John Torrance, remit la première médaille d’or ElizabethTorrance à Norman William Trenholme (B.C.L. 1865), qui devint par la suite doyen de la Faculté de droit. Parmi les récipiendaires figurent des juges de la Cour suprême, des personnalités politiques, des doyens, des professeurs ainsi que des chefs de file dans le domaine juridique.

 

 

La codification au Québec

Charles Dewey Day, l’un des plus éminents acteurs de la création de la Faculté de droit de McGill, joua un rôle de premier plan dans la Commission de codification des lois du Bas-Canada, marquant à jamais le paysage juridique du pays. En 1859, Charles Dewey Day (le deuxième homme en partant de la gauche) fut nommé au nombre des trois commissaires de la Commission et, étant le seul représentant de la communauté anglophone, en fut officieusement reconnu comme le chef.

Après sept années de travail, la commission établit le Code civil du Bas-Canada, qui demeura en vigueur de 1866 à 1994. Charles Dewey Day obtint le mandat de rédiger le Livre des obligations et de nombreux articles du Code civil traitant des questions commerciales. La codification s’intégrait dans un ambitieux projet de clarification et de modernisation des lois du Bas-Canada, lequel était considéré comme un exercice davantage technique que politique.