1939 - 1952

Le monde aux portes du Pavillon Chancellor-Day

Pendant la période s’échelonnant de 1939 à 1952, la Faculté de droit a trouvé sa place au Canada. D’abord, la Faculté avait finalement un bâtiment permanent sur le campus lorsqu’elle a reçu le Pavillon Chancellor-Day en 1948. Depuis son nouveau siège, la Faculté a continué à croître en importance au Canada. Le corps étudiant s’est enrichi de vétérans rentrés de la Seconde Guerre mondiale ainsi que d’étudiant.e.s attiré.e.s par l’accessibilité croissante de la profession juridique au Québec. Par exemple, les femmes ont pu se joindre au Barreau du Québec à compter de 1941 et le Québec a nommé son premier juge juif, l’hon. Harry Batshaw, en 1950. Des étudiant.e.s ont créé la première revue de droit au Canada, la Revue de droit de McGill, et ont établi la norme nationale en matière de références juridiques. La Faculté a continué à attirer et à former des personnalités influentes comme Brooke Claxton, Gérald Fauteux, Louis Baudouin et Arnold Heeney.

La Faculté de droit a également trouvé sa place à l’étranger au cours de ces années en adoptant un caractère de plus en plus international. Plusieurs étudiants sont allés outre-mer pour contribuer à l’effort de guerre; John Peters Humphrey a rédigé la Déclaration universelle des droits de l’homme; et John Cobb Cooper a fondé le célèbre Institut de droit aérien et spatial. Au début des années 1950, les admissions en droit de ont atteint un niveau record et la Faculté de droit de l’Université McGill a consolidé sa place en tant qu’institution nationale et internationale de renom.

Dans cette période :

 

Les origines du Pavillon Chancellor-Day

 

Le bâtiment qui est aujourd’hui le Pavillon Chancellor-Day s’appelait auparavant le Manoir Ross. James Levenson Ross (1848-1913), qui avait fait fortune dans le domaine ferroviaire, s’était fait bâtir une grande résidence en 1890. À l’époque, elle comptait parmi les résidences privées les plus cossues au Canada. Dessiné par l’architecte Bruce Price, qui avait également conçu la gare Windsor et le Château Frontenac, le Manoir Ross est construit principalement de grès jaune du Nouveau-Brunswick. Un philanthrope de renom ayant financé la construction de plusieurs hôpitaux, dont le Royal Victoria, et versé plusieurs dons à l’Université McGill, au Musée des Beaux-Arts ainsi qu’à de nombreuses autres institutions, James Ross a a fini ses jours dans le Manoir Ross. Son fils, John Kenneth Leveson Ross, fut contraint de vendre la maison après qu’il eut dilapidé sa héritage et fait de mauvais investissements. En 1948, John Wilson McConnell, un autre célèbre philanthrope ayant ultérieurement fait l’acquisition de la maison, fit don du bâtiment qui constitue aujourd’hui l’ancienne partie du Pavillon Chancellor-Day à l’Université McGill.

Ce don fut l’occasion pour la Faculté de droit de s’établir de manière permanente pour la toute première fois depuis sa fondation, cent ans auparavant. Le Manoir Ross fut rebaptisé Pavillon Chancellor-Day en l’honneur du chancelier Charles Dewey Day, personnage emblématique de l’histoire de l’Université McGill et l’un des rédacteurs du Code civil du Bas-Canada. À la suite de travaux d’agrandissement et de la création du Nouveau Pavillon Chancellor-Day en 1967, l’ancien bâtiment fut rebaptisé Vieux Pavillon Chancellor-Day.

La Seconde Guerre mondiale

 

La photo ci-dessus (à gauche) illustre des soldats canadiens paradant sur le campus de McGill. Le Canada a déclaré la guerre à l’Allemagne le 10 septembre 1939. Durant la Seconde Guerre mondiale, des étudiant.e.s, des diplômé.e.s et des membres du personnel de l’Université McGill servirent dans différents rôles. En 1941, le doyen Charles Stuart Le Mesurier rédigea une lettre sur la contribution attendue des étudiant.e.s de la Faculté de droit dans l’effort de guerre : « Tant que nous n’aurons pas détruit “cette abomination”, aucun de nous ne peut espérer faire carrière ». Selon Ruth Hill Stanley (B.C.L. 1945), ce fut « une période très angoissante et agitée » pour la Faculté de droit, qui craignait notamment ne pas pouvoir abriter ses étudiant.e.s si Montréal était bombardée. Si la Faculté s’en est bien sortie, ce ne fut pas le cas de tous ses membres partis au front, sept diplômés de la Faculté de droit ayant perdu la vie au combat.

Après la Seconde Guerre mondiale, les admissions au sein de la Faculté de droit de l’Université McGill augmentèrent fortement. En 1946, la classe de première année comptait 80 étudiant.e.s, soit un effectif plus de quatre fois supérieur à celui de l’année précédente. Selon Marie Claire Kirkland, à leur retour de la guerre, les vétérans « présentaient un curieux mélange de maturité et de penchant pour les farces enfantines; peut-être un moyen de rattraper les occasions manquées du passé ».

John Peters Humphrey

 

John Peters Humphrey (B.C.L. 1929, LL. D. 1976), titulaire de la Chaire Samuel Gale de la Faculté de droit, a enseigné le droit romain et le droit international de 1936 à 1946. Nommé doyen en 1945, il n’a toutefois jamais complété ce mandat, puisqu’il a quitté McGill en 1946 pour travailler aux Nations Unies, où il rédigé l’ébauche de la Déclaration universelle des droits de l’homme, sa plus grande réalisation. Durant ces travaux, John Peters Humphrey a collaboré étroitement avec Eleanor Roosevelt, première dame et représentante américaine à la Commission des droits de l’homme des Nations Unies. Il a également créé la section canadienne d’Amnistie internationale et siégé à la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme. Il était un ardent défenseur du biculturalisme, du bilinguisme, de la sécurité sociale et des droits individuels au Canada. À gauche, on peut voir un timbre canadien commémorant John Peters Humphrey et son ébauche annotée de la Déclaration.

À droite, on peut voir une photo de John Peters Humphrey prise alors qu’il étudiait à McGill. Orphelin – son père mourut avant son premier anniversaire et sa mère alors mourut qu’il n’avait que 11 ans – il perdit également un de ses bras dans un incendie à l’âge de six ans. Malgré ce début de parcours semé d’embûches, John Peters Humphrey eut une vie très prospère.

Les premières femmes admises au Barreau en 1941

En 1941, soit plus de 25 ans après le refus auquel s’était heurtée Annie MacDonald Langstaff en 1915, les femmes furent enfin admises au Barreau du Québec. En 1942, Elizabeth Monk (B.C.L. 1923, LL. D. 1975), Constance Garner Short (B.C.L. 1936), Suzanne Raymond Filion, et Marcelle Hémond furent les premières femmes à y être admises.

Constance Garner Short fut admise au barreau en 1941 et, en deux ans, elle devint la première femme à comparaître devant la Cour supérieure du Québec et devant le tribunal d’amirauté du Canada. Étudiante hors pair, Elizabeth Monk demeure une figure emblématique des droits des femmes au Québec. Elle travailla fut journaliste radio, oeuvra dans un grand cabinet d’avocats de Montréal et fut élue conseillère municipale à la Ville de Montréal. En 1979, ses amis et collègues créèrent un prix en son honneur afin de récompenser l’étudiant.e de la Faculté de droit de McGill ayant obtenu les meilleurs résultats en droit immobilier. En 1980, elle fut l’une des cinq femmes à recevoir le prix du Gouverneur général en commémoration de l’affaire « personne » pour son travail sur le suffrage des femmes.

Le doyen Gérald Fauteux

En 1949, l’hon. Gérald Fauteux (LL. D. 1955) fut doyen de la Faculté de droit pendant un an, avant d’accéder à la Cour suprême du Canada. Il siégea jusqu’en 1973, notamment à titre de juge en chef au cours des trois dernières années de son mandat. Il enseigna le droit pénal à McGill de 1936 à 1949, et cultiva un intérêt pour la pédagogie même après sa nomination à la Cour suprême.

Au cours de sa carrière de juge, il participa à la fondation de la Faculté de droit d’Ottawa, dont il devint le premier doyen de 1953 à 1962. Le bâtiment principal de l’Université d’Ottawa, le pavillon Fauteux, fut nommé en son honneur.

Le doyen William Campbell James Meredith

William Campbell James Meredith fut le doyen de 1950 à 1960. Il encadra et appuya alors les créations de l’Institut de droit aérien et spatial et de la Revue de droit de McGill. Son mandat coïncida avec une période de croissance, les années 1950 ayant été marquées par une augmentation constante de l’effectif étudiant. En 1951, il ajouta au programme une quatrième année d’études, au cours de laquelle les étudiant.e.s devaient acquérir une expérience pratique de bureau.

William Campbell James Meredith publia également d’importants ouvrages, tels Insanity as a Criminal Defence (1931), Civil Law on Automobile Accidents, Quebec (1940), ainsi que deux manuels destinés aux juristes, devenus des références. Après sa mort, la Faculté établit la Conférence commémorative Meredith, qui encourage la formation continue des membres de la communauté juridique du Québec. Ces conférences sont publiées sous forme de livres et les bénéfices servent à financer le Fonds de recherche W. C. J. Meredith.

L’Association de droit Lord Reading

 

 

 

L’Association de droit Lord Reading a été créée pour assurer la juste représentation des Juifs dans la communauté juridique de Montréal et du Québec. L’Association fut fondée à l’occasion du Congrès annuel du Barreau du Québec de 1948, lequel se tenait cette année-là dans un établissement qui avait pour politique « pas de juifs et pas de chiens ». Les juristes de confession juive décidèrent de boycotter le congrès et de fonder une association chargée d’assurer un traitement équitable des juristes de confession juive au Québec.

La photo de droite, prise en 1988, montre la table des anciens présidents de l’Association. Nombre des présidents qui s’y sont succédé – dont le premier, Benjamin Robinson (B.C.L. 1918) – sont des diplômés de la Faculté de droit. Aujourd’hui, la Société constitue un élément essentiel de la communauté juridique québécoise. L’Association de droit Lord Reading joue un rôle particulièrement important dans les débats publics en défendant les droits et les libertés de la personne, en réunissant des intervenants importants et en reconnaissant les membres de la communauté et leurs contributions.

L’Institut de droit aérien et spatial

 

En 1951, sous la direction de John Cooper et en collaboration avec le doyen W. C. J. Meredith et l’Association internationale du transport aérien (IATA), la Faculté de droit accueillit le tout premier Institut de droit aérien au monde. McGill constituait un emplacement de choix pour l’Institut, puisque le siège de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) venait d’être inauguré à Montréal. Conçu pour les études supérieures, l’Institut a permis de redémarrer le programme de maîtrise en droit, aboli en 1924. Après le lancement des premiers satellites, en 1957, l’Institut se développa et fut rebaptisé Institut de droit aérien et spatial. L’Institut attire des étudiant.e.s du monde entier, consolidant ainsi la réputation de l’enseignement juridique de McGill à l’international.

John Cobb Cooper (LL. M. 1952) (photo de gauche), considéré comme le père du droit spatial, joua un rôle central dans la création de l’Institut de droit aérien. Avant d’en devenir le directeur inaugural et professeur, il fut conseiller auprès des présidents Truman et Eisenhower, conseiller juridique de l’IATA et vice-président de la compagnie aérienne Pan American. Pionnier dans son domaine, il a publié l’ouvrage de référence The Right to Fly et plusieurs autres articles notables. La photo de droite le montre au centre (au premier rang) de la première cohorte d’étudiant.e.s de l’Institut, parmi laquelle se trouvent de futurs innovateurs dans le domaine comme Huib Drion (LL.M 1954), Kurt Grönfors et Peng Ming-Min (LL.M 1953).

La Revue de droit de McGill

 

La Revue de droit de McGill fut fondée en 1952 par l’étudiant Jacques Yvan Morin (photo de droite ci-dessus), qui eut l’idée de lancer la revue à la suite d’une conversation avec Gerald Le Dain, alors sur le point de terminer ses études supérieures. Selon eux, la Faculté avait besoin d’une revue pour publier les travaux des étudiant.e.s. Jacques Yvan Morin devint ensuite professeur de droit constitutionnel et de droit international à l’Université de Montréal ainsi qu’un éminent homme politique québécois.

Publié en 1955, le premier numéro de la revue bilingue contenait des articles de Gerald Le Dain, John Cobb Cooper, Maxwell Cohen et Louis Baudouin. Dans l’avant-propos, Jacques Yvan Morin souligna la situation singulière du Québec, « au confluent de deux grands systèmes de droit privé », ce qui « conférait à McGill le potentiel unique d’en enrichir la compréhension mutuelle ». La revue – la plus ancienne publication juridique gérée par des étudiant.e.s au pays – devint rapidement une plateforme de renommée mondiale pour les travaux juridiques novateurs. Son guide de citation, le Manuel canadien de la référence juridique, a établi le style officiel de citation juridique au Canada.

Harry Batshaw

L’hon. Harry Batshaw (B.C.L. 1924) est surtout connu pour avoir été le premier juriste de confession juive nommé à une Cour supérieure du Canada. À la fin de ses études, il remporta la médaille d’or Elizabeth Torrance et la bourse de voyage Macdonald. En 1949, il fut nommé juge à la Cour supérieure du Québec, fonction qu’il occupa pendant 27 ans. Aujourd’hui, on décerne le Prix du juge Harry Batshaw aux étudiant.e.s ayant obtenu les meilleurs résultats dans les fondements du droit canadien, prix qui fut créé grâce à legs qu’il a fait à la Faculté en 1985.

Harry Batshaw fut président du Comité des droits de l’homme de l’Association canadienne pour les Nations Unies. Par ailleurs, il créa la Fondation canadienne des droits de la personne (aujourd’hui Equitas) avec Thérèse Casgrain, Maxwell Cohen, Paul-André Crépeau et John Peters Humphrey en 1967. Il était respecté aux quatre coins du monde pour son combat pour la défense des droits de la personne et de la justice. Il prit également part aux activités de l’Organisation sioniste du Canada, et fut coprésident des Amitiés culturelles Canada-Français-Israël.

Brooke Claxton

Avant d’être nommé professeur agrégé de droit commercial à la Faculté de droit McGill en 1930, Brian Brooke Claxton (B.C.L. 1921, LL. D. 1950) fut un éminent avocat québécois. En 1940, il fut élu député libéral, et siégea au Parlement durant 14 ans. Au cours de sa prolifique carrière politique, il occupa les fonctions d’adjoint parlementaire au premier ministre William Mackenzie King, de ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (1944-1946) et de ministre de la Défense nationale (1946-1954). Politicien accompli, Claxton fut l’instigateur principal du programme d’allocations familiales instauré en 1945, négocia l’entrée de Terre-Neuve dans la fédération canadienne en 1949, supervisa la participation du Canada à la guerre de Corée et reconstruisit l’armée canadienne après la Seconde Guerre mondiale. En 1946, il représenta également le Canada à l’étranger lors de la Conférence de paix de Paris. Il se retira de la vie politique en 1954 et travailla par la suite comme vice-président de la Metropolitan Life Insurance Company. En 1957, il fut nommé président inaugural du Conseil des Arts du Canada.

Avant ses études, Brian Brooke Claxton combattit pendant la Première Guerre mondiale, ce qui lui valut la médaille de conduite distinguée. Il compte parmi les étudiant.e.s de la « célèbre promotion de droit de 1921 ».

Louis Baudouin et son fils Jean-Louis Baudouin

En 1948, Louis Baudouin devient le premier professeur de droit civil recruté en France à enseigner à la Faculté de droit. Il avait précédemment enseigné le droit en France et occupé le rôle de magistrat à titre de substitut du procureur de la République de 1932 à 1946. Il fut « le premier professeur de droit civil depuis Frederick P. Walton à aller au-delà de la simple exégèse des textes du Code civil, et à rechercher les thèmes qui les sous-tendent ». Tout au long de sa carrière, il fit valoir le droit civil et le droit comparé au sein de la Faculté. En 1956, il créa un séminaire bilingue de droit comparé avec le professeur Jean-Gabriel Castel. Il décéda quelques heures seulement après avoir donné sa dernière conférence.

À son tour, le fils de Louis Baudouin, Jean-Louis Baudouin (B.C.L. 1958, LL. D. 2007) enseigna à la Faculté à titre de professeur invité en 1969 et 1977. Il siégea à la Cour d’appel du Québec de 1989 à 2009. Au Québec, on le connaît comme l’auteur de l’ouvrage intitulé Les obligations et du Code civil du Québec annoté. Jean-Louis Baudouin fut professeur à l’Université de Montréal et s’intéressa, à l’instar de son père, aux domaines du droit civil et du droit comparé.

 

 

 

Arnold Heeney

Avant d’entamer sa carrière de diplomate, Arnold Heeney (B.C.L. 1929, LL. D. 1961) occupa les fonctions de premier secrétaire du premier ministre William Mackenzie King, de greffier du Conseil privé et de sous-secrétaire du ministère des Affaires extérieures. À titre de greffier du Conseil privé, il fut le plus haut fonctionnaire canadien pendant la Seconde Guerre mondiale. Sur la photo de gauche ci-dessus, on le voit (à droite) aux côtés du premier ministre William Mackenzie King (le deuxième homme à partir de la gauche) et d’un autre diplômé en droit de l’Université McGill, le ministre de la Défense nationale Brooke Claxton (au centre), alors qu’il participait à la Conférence de paix de Paris. Arnold Heeney devint ensuite ambassadeur auprès de l’OTAN et des États-Unis. La photo de droite le montre (à gauche) dans le bureau ovale, aux côtés du président John F. Kennedy, en 1962.

Avant d’entreprendre ces éminentes réalisations, Arnold Heeney étudia à l’Université d’Oxford à titre de boursier Rhodes, puis obtint un diplôme en droit de l’Université McGill. À McGill, il fut grandement influencé par le doyen Percy Corbett, tout comme son compagnon d’études John Peters Humphrey. Au cours de sa première année, Heeney était le trésorier de la Law Undergraduate Society, qui se réunissait « officieusement… au moins deux fois par jour, dans le fumoir de l’aile est ».